Milieu très masculin, le football attire de plus en plus un public féminin. Une très bonne nouvelle pour les stades, qui se diversifient d’année en année en matière de public. Le revers de la médaille est cependant pour les supportrices, souvent victimes de harcèlement, de messages bien lourds ou tout autre comportement déplacé sur les réseaux et dans les tribunes. Un constat bien triste confirmé par plusieurs témoignages de femmes supportrices à travers la France. De son côté, le Racing Club de Strasbourg affirme sa tolérance zéro envers ces faits et tient à venir en aide aux victimes de ce genre de choses.
“Si jamais tu t’ennuies, note mon numéro de téléphone”, “c’est pour quand le plan cul ?”, “pourquoi tu ne veux pas qu’on se voie”, etc, tout un tas de phrases “d’accroche” que doivent subir de nombreuses supportrices dans leurs messageries privées sur les réseaux sociaux. Malgré des réponses négatives et fermes, certaines femmes voient quelques-uns de ces hommes revenir à la charge.
Alexandra*, âgée d’une vingtaine d’années et supportrice en Alsace, nous confie avoir dû faire face à un garçon insistant, bien plus âgé qu’elle, “ce n’était pas la première fois qu’il me contactait. Il a commencé à venir me parler parce que nous avions soi-disant des passions communes. Déjà l’approche, à partir de là, était louche puis comme par hasard, le Racing … Ces derniers temps, il s’est montré insistant dans ses messages, il me parlait, ça me saoulait, je ne répondais pas, je le laissais parler… Il faisait en sorte de continuer la conversation en me posant des questions quelconques” nous explique Alexandra.
“ll faisait en sorte de continuer la conversation en me posant des questions quelconques”
Alexandra, supportrice de Strasbourg
Une technique qui a également été utilisée sur Sarah*, supportrice du Paris Saint-Germain depuis cinq ans, “en message privé il y a souvent de la drague lourde, mais tu ne le captes pas au début… C’est ça le piège, tu penses parler football et ça bascule dans de la drague que tu refuses, mais qui n’est pas réellement entendue et acceptée en face. Finalement, je bloque ou ne réponds plus” nous explique la jeune parisienne.
Des hommes bien plus âgés
Pour Alexandra, ce type de lourdeur s’est arrêté à Twitter. La supportrice strasbourgeoise a confié être particulièrement mal à l’aise quand cela vient d’hommes bien plus âgés qu’elle, “un jeune ça peut être lourd et tout ça, mais quelqu’un de plus âgé ça fait vraiment peur”. Parmi toutes les supportrices à travers la France interrogées, le constat est le même, les auteurs de ces messages ou gestes déplacés sont pour la plupart bien plus âgés qu’elles, père de famille, voire marié. Malheureusement, les paroles dépassent parfois les réseaux et se transforment en geste obscène dans les tribunes.
Âgée de 17 ans à l’époque, Mélanie* se souvient d’un moment qui l’a particulièrement choquée lors d’un match au stade de la Meinau. “Certaines personnes ne se contentent pas du harcèlement. Une fois, les choses sont allées plus loin et un supporter m’a embrassé de force”, nous avoue-t-elle.
Supportrice de Lens depuis une dizaine d’années, Louise* a également été confrontée à des messages de drague de la part d’autres supporters. Alors qu’elle est âgée de 19 ans, la jeune nordiste se voit importunée dans ses messages par un homme de 20 ans son aîné. Une différence d’âge conséquente, déstabilisatrice pour Louise, “j’ai été davantage perturbée quand un ami m’a appris que cet homme avait une femme et des enfants”, nous avoue la jeune femme. Un autre supporter, âgé de 21 ans, alors que Louise en avait 16, lui a aussi fait des avances malgré le fait qu’il connaissait parfaitement son âge. Le jeune supporter n’a pas hésité à demander des photos des parties intimes de la jeune fille avec des messages tels que “dommage, cela aurait permis d’avoir des photos de tes fesses”.
“J’ai carrément arrêté d’aller au stade”
Mélanie, supportrice de Strasbourg
Un geste inacceptable qui vient s’ajouter à une longue liste de remarques et regards désobligeants envers Mélanie. “Il n’y avait pas forcément des demandes pour se voir au stade, non, parce que c’étaient des gens que je voyais en tribune. C’étaient plus des demandes pour se voir en dehors, qui se sont ensuivies par des remarques déplacées vu que j’ai toujours refusé. J’avais 17 ans à l’époque, certains de ces hommes en avaient 10 de plus” poursuit la supportrice strasbourgeoise.
Des agressions dont il est difficile de parler lorsque l’on est jeune. Comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, Mélanie n’a rien dit, pas même à son petit ami de l’époque. Un silence qu’explique Mélanie par le fait qu’à cet âge-là, on ne comprend pas vraiment ce qu’il nous arrive “je pensais que c’était normal, alors qu’en réalité pas du tout. À une période, j’ai carrément arrêté d’aller au stade à cause de ce genre de chose.”
Les hommes plus “âgés” s’intéressent plus aux jeunes femmes
Notre enquête a relevé des points inquiétants. Supportrice rennaise de 21 ans, Charlotte* s’est également confiée aux Informés d’Alsace. Sur un ton un peu plus humoristique, mais grave, la jeune femme nous confiait, “j’ai remarqué que les hommes plus âgés font moins de choses maintenant que je suis majeure et plus « vieille »”. Mais contrairement aux autres femmes, Charlotte a aussi été importunée par des hommes de son âge, voire plus jeune qu’elle. “J’ai aussi eu affaire à des hommes de mon âge, voire plus jeunes pour ceux qui prennent la confiance” confie-t-elle.
Une crainte qu’il arrive quelque chose dans la réalité
Si les paroles ne dépassent que très rarement les réseaux sociaux, ces messages insistants et souvent gras, font parfois peur aux supportrices, notamment lorsqu’elles se rendent au stade. “Déjà qu’en étant femme, on ne se sent pas vraiment en sécurité, alors parfois quand tu vois ce que certains ont le culot d’envoyer, tu peux te demander jusqu’où ils pourraient aller” précise Charlotte. Au-delà des interactions directes que peuvent avoir cette minorité de supporters avec les femmes, d’autres n’hésitent pas à le faire dans le dos, pensant être discrets, “certains nous prennent en photo et se relaient des trucs sur nous, d’autres t’accostent ou te fixent juste comme ça aussi. Donc parfois oui, ce n’est pas rassurant. Après cela fait plusieurs années et j’ai grandi et pris en « force ». Maintenant, j’ai beaucoup moins peur, mais ça reste toujours flippant dans le fond” explique la jeune rennaise.
“Tu peux te demander jusqu’où ils pourraient aller”
Charlotte, supportrice rennaise
Libérer la parole
Il est difficile pour la gente masculine d’imaginer le nombre de messages, de gestes ou remarques déplacées, que peuvent recevoir les femmes, et encore plus dans un milieu aussi masculin que le football. Pour lutter contre ce fléau, nombreuses sont les femmes à prendre la parole sur les réseaux sociaux, n’hésitant plus à afficher publiquement les hommes qui les harcèlent.
Charlotte, la supportrice bretonne, a récemment dénoncé des “pointeurs” (ndlr : des hommes adultes intéressés par des mineures) avec d’autres supportrices victimes du même type de situations malsaines. Une initiative très bien accueillie, à la grande surprise de Charlotte, “je m’étais carrément préparée à pire, je m’attendais à prendre des remarques sexistes à gogo et à voir les mecs se faire défendre, mais quasi rien. Au contraire, j’ai reçu des dizaines de messages et réponses de soutien en me disant de continuer, et aussi en me précisant que si jamais je recevais des menaces ou quoique ce soit, que certains seraient là pour me/nous « protéger » si besoin” s’étonne la supportrice.
Tolérance zéro de la part du Racing Club de Strasbourg
Contacté par nos soins, Bruno Chapel, directeur des opérations du Racing Club de Strasbourg, a tenu à exprimer la tolérance zéro qu’applique le club alsacien en cas d’actes de ce genre. “Nous sommes intransigeants vis-à vis de toute transgression. Il y a toujours une suite à donner, peu importe les faits qui sont constatés. Les choses que vous nous rapportez sont très graves et doivent constamment donner suite “ nous confie M. Chapel. Pour lutter contre les faits interdits, y compris le harcèlement, le Racing met en place, lors de chaque rencontre à domicile, des superviseurs responsables de chaque secteur du stade.
“En cas du moindre problème, ce que je préconise, est d’aller immédiatement voir ce superviseur et de rendre compte des comportements déplacés que vous venez de subir” explique le directeur des opérations. Le Racing explique qu’une communication plus large aura lieu afin de mieux sensibiliser les supportrices et les supporters de la présence de ces superviseurs dans le stade. “On a 15 superviseurs habillés en tenue Racing. Pour les espaces réceptifs, type VIP, il est en costume. On tient absolument à ce qu’à la fin de la prestation, on est une vue globale de tout ce qui s’est passé dans le stade”, détaille Bruno Chapel.
Communiquer immédiatement les faits
Le directeur des opérations du Racing Club de Strasbourg explique qu’il faut tout de suite rentrer en relations avec le club en cas de harcèlement. “Il faut immédiatement venir nous voir. On reçoit la personne et on dresse le constat de ce qu’il s’est passé. Nous sommes proches du commissariat de police avec une personne attitrée pour ce genre d’affaire, ce qui permet aux victimes d’être prises en charge et accompagnées comme il se doit”, nous indique Bruno Chapel.
Sur la peur et l’appréhension que peuvent avoir certaines supportrices avant de se rendre au stade, Bruno Chapel tient à exprimer son soutien et tout ce que le Racing met en œuvre pour garantir la sécurité de toutes et tous. “Un match de football doit être convivial et ouvert à toutes et tous. Notre rôle est de pacifier les alentours et l’intérieur du stade. Toute typologie de public doit pouvoir venir au stade en sécurité. Je le répète, à la moindre insulte ou geste déplacé, nous devons être prévenus pour agir en conséquence. Là-dessus, sur les sanctions prises, je suis vraiment intransigeant.”, nous dit le directeur des opérations alsacien.
Des stadiers formés
C’est l’une des mesures appliquées par le Racing Club de Strasbourg, la formation des stadiers présents pour assurer la sécurité. “Nos stadiers reçoivent plusieurs briefings avant chaque rencontre à domicile. Ils ont des consignes spécifiques par secteur. L’observation est importante puisque le stadier est également capable d’intervenir de son propre chef s’il repère une personne qui se fait embêter ou est victime de tout autre comportement déplacé. Notre dispositif est d’environ 400 stadiers par rencontre” indique Bruno Chapel.
“On travaille beaucoup sur le terme culture de la sécurité. C’est-à-dire que la sécurité appartient à tout le monde (stadiers, hôtes, hôtesses, supporters, etc), c’est une chose que l’on développe depuis 2015 au Racing” explique M. Chapel.
Des sanctions exemplaires
Même s’il n’y a pas de dépôt de plainte, le Racing peut prendre des mesures exemplaires de son côté sans avoir besoin d’une décision de justice. “Il y a maintenant la loi Larrivé de 2016 qui nous permet d’une part d’insister sur la communication sur la prévention, mais elle permet aussi à l’organisateur de sanctionner directement une personne sans passer par la justice et ainsi prononcer une interdiction commerciale de stade via un courrier recommandé justifié avec le texte juridique adéquat”, explique Bruno Chapel.
En cas de plainte déposée, mais classée sans suite, ce qui peut arriver souvent dans le cadre du harcèlement, le Racing explique qu’il existe un autre recours pour sanctionner les auteurs de ces faits. “Même si la justice ne donne pas suite, il y a la possibilité de donner suite via la préfecture avec une interdiction administrative de stade, et ce, sans l’accord d’une décision rendue par un tribunal. Nous avons trois référents police avec lesquels nous travaillons et qui sont tout à fait capables de le faire également. Et si cela ne fonctionne pas, malgré le fait que l’on soit sûr des faits, le club prononce une ICS, c’est-à-dire une interdiction commerciale de stade” informe Bruno Chapel.
Les cas de harcèlement concernent les supportrices, mais aussi parfois les hôtesses. Bruno Chapel tient à rappeler la politique de tolérance zéro mise en place vis-à-vis de ces faits. “En cas de faits déplacés constatés, nous traitons le problème immédiatement, et d’ailleurs, nous faisons passer le message avant chaque rencontre. Dès qu’il y a quelque chose, le dire tout de suite et nous agirons en conséquence !”, précise le directeur des opérations. En parallèle de tout cela, le Racing réfléchit à mettre en place une plateforme anonyme pour dénoncer ces faits. “Nous réfléchissons à mettre un site en ligne pour dénoncer de manière anonyme ces problèmes. On a également une boîte mail contact où l’on peut être joints. De mon côté, je m’engage à ce que chaque message soit traité avec une réponse”, nous indique M. Chapel.
Vers une évolution positive des comportements ?
Si le tableau paraît noir, il y a tout de même un peu de lumière qui se dégage du fond du tunnel. En plus de tout ce qui est mis en œuvre par le club alsacien, plusieurs supportrices ont tiré le même constat encourageant, les mentalités, y compris des hommes, sont en train d’évoluer dans le bon sens. “Les mentalités ont évolué, les nouvelles générations n’ont vraiment pas la même mentalité qu’à l’époque où moi, j’ai commencé à aller au stade. Ce qu’il s’est passé à l’époque ne serait plus cautionné aujourd’hui” confie la jeune strasbourgeoise, Mélanie.
“J’ai été davantage perturbée quand un ami m’a appris que cet homme avait une femme et des enfants”
Louise, supportrice lensoise
De son côté, Charlotte, la supportrice rennaise, a tenu à adresser un message à toutes les femmes victimes de ce genre de situations “Je leur dirais tout d’abord de ne jamais oublier que notre place dans ce milieu (et les autres) a de l’importance et que nous devons en être fières. Parfois, c’est difficile d’oser et de mettre de côté sa peur pour répondre, agir ou même dénoncer tous ces gars au comportement plus que douteux et surtout dégueulasse. Mais il faut savoir qu’en général, on n’est jamais seule dans des histoires comme ça et s’il vous parle/agit mal avec vous, il le fait sans doute aussi à d’autres. Notre force, c’est d’être ensemble et de libérer notre parole petit à petit, avec le soutien de plein de gens (dont des hommes) très cool qui sauront veiller sur les futures générations, je l’espère. La peur doit changer de camp !”
*tous les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité